Vendre sa culotte : commerce ou travail sexuel ?

Quand la crise a commencé à frapper, vers 2008, les sites individuels de vente de culottes usagées ont commencé à fleurir. J’avais ainsi interviewé, en février 2009, Sally, une des pionnières en France, qui vendait ses culottes usagées et réalisait une marge de 4 fois son investissement, ce qui arrondissait ses fins de mois. Elle s’en occupait elle-même sur son blog et gagnait 300€ par mois. D’autres vendeuses utilisent cet argent pour offrir des cadeaux de noël à leurs enfants.

Si certains petits amis réagissent mal à cet étalage de l’intimité de leur partenaire, la plupart tolèrent voire encouragent une pratique légale mais considérée par certains comme déviante. Ainsi une jeune vendeuse a été renvoyée par son employeur qui avait découvert son activité. Néanmoins, avec 300/400€ de bénéfices nets mensuels assez facilement engrangés pour un « travail » assez léger, beaucoup de femmes franchissent le pas.

Un site spécialisé pour industrialiser la culotte 

En 2011, trois trentenaires consolident et « industrialisent » le concept.  Le site Vends-ta-culotte.com, lancé en février 2011, importe en France la culture érotique burusera japonaise, pays où il existe même des distributeurs automatiques de culottes usagées. Avec plus de 350 vendeuses en un peu plus d’un an d’existence et une fréquentation en augmentation croissante, Vends-ta-Culotte.com est devenu le plus gros site de vente de culottes sales en France.

Les vendeuses fixent librement le prix d’une pièce de lingerie (les prix les plus élevés sont de l’ordre de 150 euros, mais en général, c’est plutôt autour de 30€). Grâce à un système de paiement sécurisé, ces dames peuvent préserver leur anonymat et envoyer leur offrande en toute tranquillité. En retour, les acheteurs les évaluent, comme sur d’autres sites de vente en ligne. « Happy safe sex à toutes et tous ! » concluent les fondateurs du site.

Sensibles à la parité hommes/femmes, nos trois fondateurs ont lancé également « vends-ton-slip.com », même s’ils n’ont pour le moment qu’une trentaine de vendeurs. Dans les deux cas, les clients sont des hommes.

On  se souvient de cette scène dans « Les valseuses » où Gérard Depardieu et Patrick Dewaere entrent par effraction dans une chambre et hument le fumet d’une culotte petit bateau:

Côté hommes, c’est plutôt « caviar et champagne » comme me l’explique Paul, le concierge de la maison comme il s’auto-surnomme, avec délicatesse : « Concernant le caviar / champagne, nous avions développé le site à l’origine « que » pour vendre des culottes. Et nous avons constaté que nos utilisateurs ont beaucoup d’imagination, et certaines vendeuses ont proposé de vendre du « champagne » (pipi). Quand au caviar, je vous laisse deviner… ». Vous ai-je conseillé de ne pas lire cet article au moment du repas ?

Simple culotte ou rencontre virtuelle ?

Malheureusement, la frontière entre une forme de travail du sexe d’un côté et la vente de culottes portées ou encore de photos et de vidéos est ténue… ce qui n’arrange la vie de personne.

Paul m’explique : « une vente se passe en général ainsi : le Garçon (acheteur) et la Fille (vendeuse) prennent contact sur le site. Pour les Filles, la règle d’or est de créer un contact sympathique avec ses potentiels acheteurs, une complicité. Généralement, c’est à ce moment que les utilisateurs s’entendent sur les caractéristiques spéciales de la culotte : type, nombre de jours portés, « traces », photos adjointes, etc… Et sur le prix… Nous avons remarqué que les « spécialités » qui se vendent le mieux sont celles présentées sur leurs modèles avec, par exemple une photo de la culotte portée par la Fille, au lieu d’une simple photo de la culotte posée sur une table. »

Le site fait tout pour valider que les filles sont réelles, et propose moult contrôles qui assurent à l’acheteur qu’il ne fantasme pas sur une autre fille que celle présentée en photo. Pour autant, Paul n’est pas dupe des motivations des vendeuses : « nous pensons que 80% des motivations sont financières, et 20% pour le plaisir. Mais les filles qui s’inscrivent que pour de l’argent ne restent en général pas trés longtemps. Je pense qu’elles ne savent pas développer une relation de confiance avec leurs acheteurs, veulent concrétiser les ventes trop vite, et au final, ne vendent rien.»

Et d’expliquer : « C’est un domaine un peu particulier car il faut mettre en scène son corps, faire fantasmer les visiteurs, et donc donner les outils pour que les vendeuses puissent le faire. Moult détails coquins sont possibles.» Sur le site, on peut aussi acheter uniquement des photos et des vidéos des vendeuses (qui souhaitent s’exposer). Il est conçu pour permettre aux utilisateurs d’acheter et vendre, d’échanger en privé et de se dévoiler sans jamais se rencontrer, et de conserver leur anonymat, même en cas d’achat.

Une mafia des culottes ?

Le site interdit les rencontres physiques rémunérées, et ne tombe donc pas sous le coup de la loi et ce d’autant plus qu’aucune contrainte de chiffre d’affaies n’est imposée aux vendeurs et vendeuses. Pour autant, il rencontre des difficultés propres aux milieux dans lesquels il est facile de faire pression tant sur les sites que sur les filles.

En particulier, quand vends-ta-culotte a développé sa version anglaise, un site concurrent s’est mis à intimider les vendeuses les sommant de choisir entre un site et un autre… Comme si quand vous inscriviez votre lave-linge au « bon coin », e-bay vous menaçait ! « Sans compter les mails d’insultes que nous avons reçus. Il semble que le monde anglo-saxon des culottes portées est sans fois ni loi ! » me raconte Paul.

Sally, la première personne que j’avais interviewée à ce sujet, m’a demandé un an après de modifier son pseudonyme, car elle avait été reconnue et avait de forts motifs d’inquiétude. La même histoire arrive de temps à autres aux vendeuses de vends-ta-culotte qui effacent leur profil parce que leur petit ami est jaloux par exemple.

De plus, les sites de petites annonces classiques (e-bay, etc.) n’acceptent pas ce genre de produits ; même les systèmes de paiement type « paypal » refusent des produits « pour adulte », ce qui stigmatise encore cette activité. « Nous avons dû faire face à beaucoup de difficultés pour mettre en place un système de paiement. Nous avons dû le développer nous même. Pour des raisons « morales », nombreuses sont les banques qui ont refusé de nous ouvrir un compte » m’expliqua Paul.

Finalement, autour d’une activité d’apparence anodine (vendre une culotte, est-ce bien important ?), ce sont bien les limites du travail sexuel et des morales sociales qui se dessinent.